Découvrez la Justice Restaurative au travers ce dialogue imaginaire entre Kisétout et Modeste ...

 

Kisétout : « bonjour Modeste, que lis-tu ? 

 

Modeste : - la Justice Restaurative d’Howard Zehr

 

-         connais pas ; jamais entendu parler

 

-         tu m’étonnes… mais pas tant que ça puisque ça vient de sortir

 

-         explique un peu

 

-         c’est un nouveau modèle de justice pénale qui part du constat que la justice pénale actuelle n’est pas satisfaisante pour les victimes, pour les auteurs et pour la société

 

-         jusque là, d’accord, mais précise. Restaurative : je n’ai jamais vu ce nom ; on ne la sert qu’à table ta nouvelle justice ?

 

-         toujours farceur ; mais tu as raison c’est un néologisme qui vient de l’anglais « restorative » et qui peut se traduire par : restauration ou réparation. Zehr en est le père fondateur aux Etats-Unis au début des années 80 ; cependant c’est une justice beaucoup plus ancienne qui s’est toujours pratiquée et se pratique encore aujourd’hui dans certaines communautés autochtones du Canada, de Nouvelle Zélande, d’Afrique etc…

 

-         c’est de l’ancien à la sauce moderne : on est toujours dans le même registre culinaire !!

 

-          au départ il s’agit de donner plus d’espace, plus de parole, plus d’importance à la victime afin de prendre en compte la totalité de ses souffrances et de la restaurer   dans sa dignité

 

-         alors là, tu m’intéresses : pour une fois que l’on s’occupe des victimes.

 

-         tu exagères : depuis le début du XX° siècle tous les textes internationaux et français  ont mis l’accent sur l’intérêt que la justice pénale doit porter à la victime et sa place ne cesse de grandir au sein du processus pénal : avant, pendant et après

 

-         oui, mais on est encore loin du compte ; concrètement comment ça fonctionne ta justice ?

 

-         tu comprends bien que l’on ne va pas s’intéresser qu’à la victime : quand une infraction a été commise, une personne a causé des torts à une autre personne et elle a une obligation de réparer. Ce qui intéresse la victime, au-delà d’une punition de l’auteur qui peut être nécessaire, c’est d’avoir en face d’elle quelqu’un qui prenne conscience de ce qu’il a  fait, qui se sente responsable

 

-         je te suis et j’ajouterai même que la société toute entière peut y gagner

 

-         je vois que tu commences à comprendre : il y a effectivement 3 personnages qui interviennent dans une infraction : la victime, l’auteur et la société. Hé bien la justice restaurative ambitionne de restaurer la victime, de responsabiliser les auteurs et de rétablir l’harmonie au sein de la société. La justice pénale traditionnelle a une solution radicale: on enferme l’auteur, on l’exclut de la société et on espère, mais sans trop d’illusion, que la punition sera dissuasive. Elle part d’un raisonnement simple : la loi a été violée et l’auteur doit être puni.

La justice restaurative  a une tout autre logique : ce n’est pas seulement la règle qui n’a pas été respectée, c’est une personne qui a été atteinte dans sa chair, c’est un groupe social qui a été ébranlé et dont l’harmonie a été rompue.

 

-         ça vole haut mais je ne vois pas encore clairement où l’on va

 

-         il faut redonner du pouvoir aux personnes concernées par une infraction ; il faut que la victime ait le sentiment d’influer sur la solution du litige du conflit, après tout c’est la première concernée ; dans la justice pénale actuelle, tout est déléguée à des professionnels du droit et la victime est dépossédée de toute influence sur le devenir du conflit. La justice restaurative veut permettre à la victime et à l’auteur de trouver par eux-mêmes les moyens ou les voies pour parvenir à une solution satisfaisante et apaisante

 

-         en quelque sorte une médiation, une rencontre : mais n’est-ce pas dangereux  pour une victime affaiblie qui n’est pas en mesure de rivaliser avec un auteur trop puissant ?

 

-         il faut faire attention, effectivement ; c’est pourquoi la mise en présence, le face à face auteur victime dans le cadre d’une médiation ne peut se faire que sur la base du volontariat, avec l’intervention d’un médiateur, un tiers spécialement formé qui est là pour garantir que les droits de chacun seront respectés

 

-         ça concerne donc les petits délits

 

-         ça dépend par ce que tu entends par « petits délits » ; je crois que cette méthode, que l’on peut appeler médiation restaurative, peut s’appliquer à des infractions comme des vols, des escroqueries, des discriminations etc…dès lors que la sécurité de la victime n’est pas en jeu. Une fois de plus il s’agit de faire comprendre à l’auteur le tort qu’il a causé alors que dans un procès, on met l’accent sur le non respect de la loi. C’est pour cela que je suis convaincu de l’intérêt que cette démarche présente pour la victime comme pour l’auteur qui n’est plus rejeté mais qui reste dans la société.

 

-         en somme on recrée du lien

 

-         bien, bravo, 10/10, oui entre l’auteur, la victime et la société

 

-         en fait tu cherches à ce que la victime pardonne à l’auteur, qu’il sorte de la médiation bras dessus bras dessous ! tu rêves ou quoi ?

 

-         tu perds le fil : la victime pardonnera ou ne pardonnera pas : c’est son problème et ça ne nous concerne pas ; c’est une décision individuelle mais le pardon n’est pas  le but recherché dans la justice restaurative. En fait c’est une question de bon sens : la justice restaurative est résolument tournée vers l’avenir, contrairement à la justice pénale qui regarde en arrière, qui analyse l’infraction, mesure sa gravité et son impact. Mais après un crime ou un délit, la victime ou ses proches continuent de vivre sans oublier ce qui s’est passé, et ce que cherche la justice restaurative c’est recréer les conditions d’une vie normale et acceptable, ni plus ni moins, sachant que chacun réagit différemment.

 

-         et en dehors de la médiation restaurative  existe-t-il d’autres méthodes, d’autres pratiques ?

 

-         oui bien sûr ; mais je vais te dire : il n’y a pas de recette, tu ne trouveras pas un livre, un vade me cum qui recense l’ensemble des modèles de justice restaurative existants car ils sont multiples et c’est un peu à la discrétion des personnes concernées à la condition toutefois qu’un tronc commun soit respecté, et ce tronc commun  c’est, entre autres éléments, la rencontre, rencontre entre victimes et infracteurs seuls ou bien dans le cadre d’un groupe élargi à la famille ou l’entourage ou encore d’un cercle qui comprend un nombre encore plus important de personnes comme des policiers ou des représentants de la justice et des membres de la communauté

 

-         la communauté, qu’entends-tu par là ? Veux-tu-tu parler d’un groupe d’individus qui ont des intérêts communs, vivent ensemble, ont une même philosophie ?

 

-         non pas du tout, ce sont des personnes qui ont des points communs avec auteurs et victimes et qui sont concernées par l’infraction : par exemple ce seront les personnes qui vivent dans la même cage d’escalier de la victime ou de l’auteur là même où l’infraction a été commise ; ce seront des responsables d’un club de sport si les vestiaires de ce club ont été dévalisés, mais d’une manière plus générale ce peut être des représentants permanents d’un vaste territoire urbain (quartier, ville).

Leur présence est essentielle, car ils sont également victimes et ont besoin de réponse. Les représentants de la communauté doivent soutenir les légitimes demandes des victimes mais aussi saluer les efforts que les auteurs produisent pour être à nouveau admis dans la société. Le rapprochement des uns et des autres ne peut qu’être bénéfique pour la paix sociale et la communauté doit assurer un vivre ensemble de ses membres aussi harmonieux que possible.

              

-         donc plus de juge, plus de prison c’est la loi du plus fort ; moi j’en veux pas de ta justice restaurative totalement utopique ; on est dans le délire : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !!

 

-         c’est facile mais un peu court comme argumentation. Je ne t’ai jamais dit que la justice pénale telle qu’on la pratique disparaitra. Il y aura toujours des juges des policiers et des gendarmes pour mettre un terme aux agissements de ceux qui ne respectent pas la loi. Mais la justice restaurative peut venir en complément de la justice traditionnelle. Est-ce que tu crois que la victime ou la famille d’une victime d’un crime est vraiment satisfaite après le procès de l’auteur ? est-ce que tu crois qu’elle a eu toutes les réponses aux questions qu’elle se posait ? est-ce qu’elle a trouvé l’apaisement parce que justice était passée ?

 

-         certainement pas mais ce n’est pas le rôle essentiel de la justice pénale

 

-         tout a fait d’accord et c’est bien le reproche que je lui fais

 

-         et ta justice restaurative, elle va faire ce que la justice pénale ne peut pas faire

 

-         et bien oui, en tout cas elle va essayer et toujours par le même moyen : la rencontre, le dialogue, la parole entre détenus et victimes.

 

-         Ciel : il veut faire entrer les victimes en prison ; arrêtez cet homme il devient dangereux

 

-         Mais ça s’est déjà fait ; il y a eu une expérience à Poissy dans la région parisienne en 2010. 3 victimes(ou proches de victimes), 3 condamnés pour des faits particulièrement graves (viol, meurtre etc.) se sont rencontrés au sein de l’établissement pénitentiaire. Victimes et auteurs dans ces rencontres ne se connaissent pas mais ont en commun le même type d’infraction : une victime sera face à un auteur de viol mais ce n’est évidemment pas son violeur. Le groupe de parole est animé par deux facilitateurs et élargi à deux représentants de la communauté. Pendant 6 semaines consécutives à raison d’une rencontre de deux ou trois heures chaque lundi, détenus et victimes et représentants de la communauté ont pu parler, dialoguer permettant aux victimes d’obtenir des réponses et aux auteurs de prendre conscience du malheur qu’ils avaient engendré.

 

-         Comment tu sais que ça a marché ?

 

-         Parce que l’on a, à l’issue de cette expérience interrogé les victimes et les auteurs et que les uns et les autres se sont dits satisfaits de ce qui s’était passé

 

-         Tu m’étonnes

 

-         Bien sûr c’est surprenant mais pour que ça réussisse, c'est-à-dire pour que chacun en tire profit il faut certaines conditions : il faut d’abord que la victime soit tout à fait volontaire pour participer à ces groupes de paroles, quelle soit au préalable préparée et suivie par un psychologue. Il faut que l’auteur reconnaisse les faits qui lui ont valu l’incarcération et admette la punition infligée, il convient que sa participation soit volontaire et il ne doit en outre rien attendre de sa participation en termes de remise de peine ou de libération conditionnelle. Il faut enfin et surtout que la victime respecte l’auteur quelle ne voit pas en lui un monstre à exclure à tout jamais de la société mais qu’elle perçoive l’humanité qui est en chacun de nous. Les actes commis sont monstrueux mais les auteurs ne sont jamais des monstres ; ils restent des êtres humains et à ce titre méritent d’être respectés.

Sous ces conditions, ces rencontres peuvent être l’occasion pour des personnes que tout éloigne de se parler, voir de dialoguer, voir d’échanger comme tout être humain. Il n’y a rien à attendre d’autre de ces rencontres qu’un apaisement et pour la victime et pour l’auteur, obtenu par le bais d’une parole libératrice.

 

-         et tu veux instaurer cela sur Nîmes ?

 

-         oui et les personnes que nous avons rencontrées : magistrats, avocats, personnels pénitentiaires sont tout à fait d’accord pour nous faciliter la tâche sur le plan matériel. Il faudra s’adapter à la spécificité de la maison d’arrêt qui ne comporte pas de condamnés à de longues peines

 

-         et les échéances : quelles sont –elles ?

 

-         un première rencontre détenus/ victimes au cours du dernier trimestre 2015. D’ici là on espère recruter et former des personnes capables d’animer ces groupes de paroles. Si des personnes sont intéressées, qu’elles n’hésitent pas à nous contacter.

 

-         Donc c’est l’AGAVIP qui est le support de cette justice restaurative dans le département ?

 

-         Tout à fait : l’association a créé en son sein un service de justice restaurative dont le référent est Monsieur Gabriel Audisio, professeur d’université émérite et qui a suivi avec  moi une formation à Lyon sur ce sujet.

 

-         Finalement, tu peux me le passer ce bouquin ?

 

-         Bien sûr, je peux même te le donner à charge pour toi de le faire connaître à tes amis. La justice restaurative mérite d’être découverte et répandue, c’est la justice du XXI° siècle.